MARDI 25 MARS > 19 h 30

Centre du Patrimoine Arménien

« Le pouvoir des larmes »

Guillaume Le Blanc, philosophe

Les larmes ne sont pas le seul langage de la perte, du désespoir et du chagrin. Elles sont courageuses, audacieuses car elles nous indiquent que quelque chose doit être changé, à quoi il faut consentir. En ce sens elles sont un chemin de liberté bien davantage qu’une voie de résignation.
Non seulement les larmes nous rendent pleinement humains, mais lorsque celles-ci, solitaires, deviennent solidaires, elles apparaissent comme une force politique. En osant pleurer, on ne fait pas que déplorer, on accuse, on réclame justice : un peuple en larmes est un peuple en armes.
En interrogeant la signification existentielle des larmes, Guillaume Le Blanc ouvre un champ inédit. Des pleurs solitaires – larmes d’Achille ou de Priam, d’Énée ou d’Antigone, de la sainte Thérèse du Bernin, du marin d’Odessa dans Le Cuirassé Potemkine… – aux larmes solidaires – celles des « folles de la place de Mai », de Greta Thunberg ou du 11 septembre 2001 – il esquisse une métaphysique des larmes à rebours de la fragilité qu’on leur attribue. Non seulement les larmes nous rendent pleinement humains, mais lorsque celles-ci, solitaires, deviennent solidaires, elles apparaissent comme une force politique. En osant pleurer, on ne fait pas que déplorer, on accuse, on réclame justice : un peuple en larmes est un peuple en armes.

En 2005, les éléphants du Sri Lanka ont versé des larmes avant que les vagues du grand tsunami n’atteignent les côtes. Cette réaction de pachydermes « hypersensibles » aux bruits avant-coureurs de cette catastrophe inaudibles à l’homme les a sauvés. De cet épisode, Guillaume Le Blanc tire une conviction : les pleurs ne sont jamais un « simple ressassement », ils ne se réduisent jamais à la « déploration » inconsolable d’une perte ; au contraire, les pleurs font « signe vers l’avenir ». Ils portent la promesse d’un futur au-delà du cataclysme qui les cause, ils supplient « que le mal qui les engendre n’ait plus lieu d’être ». « Impossible demande de justice », les larmes « implorent » pour qu’advienne un autre monde. Il faut alors se garder de les réduire à une expérience intime. Les pleurs, sans doute, nous mettent à nu. Ils dévoilent, malgré nous, notre sensibilité, notre vulnérabilité, notre impuissance. Mais ils sont toujours, en même temps, politiques. Pleurs « solitaires » et pleurs « solidaires » s’entremêlent. Autrui est d’une manière ou d’une autre toujours présent dans les larmes, que nous pleurions sa disparition ou que nous pleurions avec lui, en empathie avec sa souffrance. Il existe, observe Le Blanc, une « contagion des larmes » où s’exprime tout ce que l’affect le plus personnel recèle de collectif. « Pleurer est plus vaste que soi. […] Les pleurs nous retiennent dans l’humanité. » Enrayant la grande comédie sociale des représentations, qui individualise et isole, les larmes ouvrent quelque chose d’une communion sensible où se concrétise l’espoir que les choses changent. On ressort ému de cette traversée profonde de la vallée des larmes, arpentée par Le Blanc dans un style vibrant et personnel

Guillaume Leblanc, philosophe

En partenariat
avec le CPA

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